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Tibère : né en 42 av. J.C., mort en 37 ap. J.C.

Titre : Tiberius Caesar Divi Augusti Filius Augustus (18 septembre 14, 16 mars 37 : 22 ans)

Nom

Tibère
Tibère
James Anderson

Tiberius Claudius Nero.

Naissance

Le 16 novembre 42 av. J.C., dans une résidence du Palatin à Rome, durant le second consulat de M. Aemilius Lepidus et L. Munatius Plancus, suivant la guerre de Philippes.

Famille

Il est issu de la gens Claudia, ou famille des Claudes, qui s'est illustrée par vingt-huit consulats, cinq dictatures, sept censures et autant de triomphes.

La lignée patricienne des Claudii (distincte d'une branche plébéienne, tout aussi influente et honorable) trouve ses origines à Régille, une cité sabinienne.

Invitée par Titus Tatius, le co-régent de Romulus, cette famille s'installe à Rome avec un grand nombre de clients. Plus certainement, environ six ans après la chute de la monarchie, le sénat l'intègre parmi les familles patriciennes, sous la conduite d'Atta Clausus. Pour ses clients, elle reçoit des terres au-delà de l'Anio et un espace funéraire au pied du Capitole.

Caractérisée par divers prénoms et surnoms, elle choisit notamment celui de Néron, qui signifie "brave" et "vaillant" en Sabine. Tibère César descend de la gens Claudia par ses deux parents, son père étant un descendant de Tiberius Néron et sa mère d'Appius Pulcher, tous deux fils d'Appius Caecus.

Père

Tibère Claude Néron, issu de la gens Claudia, était un proche de César. Il servit comme questeur durant la guerre d'Alexandrie (48-47 av. J.C.) et reçut le commandement de la flotte de César. Ultérieurement, il succéda à P. Scipion en tant que pontife et fut responsable de l'établissement de colonies en Gaule, notamment à Narbonne et Arles.

Suite à l'assassinat de Jules César en 44 av. J.C., Tibère Claude Néron se rallia à Octave et accompagna L. Antoine, le frère du triumvir, à Pérouse, lui restant fidèle même après l'effondrement de son camp.

Après le conflit de Pérouse, ayant commandé une armée en Campanie, Tiberius Claudius Nero se retira d'abord à Préneste, puis à Naples, avant de trouver refuge en Sicile auprès de Sextus Pompée, alors allié d'Antoine. Sa femme Livia Drusilla et son fils Tiberius, alors âgé de deux ans, fuirent devant Octave, futur époux de Livia et successeur de Tiberius. Ils trouvèrent ensuite refuge en Grèce, auprès des forces de Marc Antoine.

En 39 av. J.C., après la conclusion d'une paix entre Octave et Sextus Pompée et la proclamation d'une amnistie générale, Tibère Claude Néron retourna à Rome. Il décéda peu après, laissant derrière lui deux fils, Drusus et Tibère, connus sous le nom de Nérons.




Mère

Livie, née le 30 janvier 58 av. J.C., est la fille de Marcus Livius Drusus Claudianus. Lorsqu'elle revient à Rome avec son époux Tibère Claude Néron, Octave la rencontre pour la première fois le 23 septembre 39 av. J.C. et en tombe immédiatement et éperdument amoureux. Il l'accueille chez lui alors qu'elle attend son deuxième enfant, Drusus. Scribonia, l'épouse d'Octave à l'époque, qui est également enceinte de Julie, est répudiée par Octave juste après la naissance de leur fille. Le 17 janvier 38 av. J.C., Octave épouse Livie.

Portrait

D'après Suétone, "Tibère était gros, robuste et d'une taille au-dessus de l'ordinaire. Large des épaules et de la poitrine, il avait, de la tête aux pieds, tous les membres bien proportionnés. Sa main gauche était plus agile et plus forte que la droite. Les articulations en étaient si solides, qu'il perçait du doigt une pomme récemment cueillie, et que d'une chiquenaude il blessait à la tête un enfant et même un adulte. Il avait le teint blanc, les cheveux un peu longs derrière la tête et tombant sur le cou; ce qui était chez lui un usage de famille. Sa figure était belle, mais souvent parsemée de boutons. Ses yeux étaient très grands, et, chose étonnante, il voyait dans la nuit et dans les ténèbres, mais seulement lorsqu'ils s'ouvraient après le sommeil et pour peu de temps; ensuite sa vue s'obscurcissait. Il marchait, le cou raide et penché, la mine sévère, habituellement silencieux. Il ne conversait presque point avec ceux qui l'entouraient, ou, s'il leur parlait, c'était avec lenteur et en gesticulant négligemment de ses doigts. Auguste avait remarqué ces habitudes disgracieuses et pleines de hauteur, et il avait essayé plus d'une fois de les excuser auprès du sénat et du peuple, comme des imperfections naturelles, et non des défauts de coeur. Tibère jouit d'une santé inaltérable pendant presque tout le temps de son règne, quoique, depuis l'âge de trente ans, il la gouvernât à son gré, sans recourir aux remèdes ni aux avis d'aucun médecin.".

Pline le décrit comme l'homme le plus morose, tristissimus hominum; son tempérament était sévère, vindicatif, et sa réticence à verser le sang, aussi limitée que celle de tout habitué de l'amphithéâtre.

Mariage

Tibère s'est uni en mariage à deux reprises :

D'abord, il épouse Vipsania, qu'il aime profondément, fille d'Agrippa, fidèle compagnon d'Auguste. Elle lui avait déjà donné un fils, Drusus, et était enceinte de leur second enfant.

Ensuite, par décision d'Auguste, en 11 av. J.C., il est contraint d'épouser la veuve d'Agrippa et de Marcellus, Julie, la fille d'Auguste, également connue sous le nom de Julia Caesaris Filia. Par cet acte, Auguste adopte Tibère et l'oblige, malgré le fait qu'il ait déjà des enfants, à adopter son neveu Germanicus. Auguste voit en Germanicus un potentiel soutien et une ressource contre son héritier, nourrissant pour lui l'affection qu'il avait pour Drusus, son père et frère de Tibère, en 4 ap. J.C.

La rupture avec Vipsania est une source de profonde tristesse pour Tibère. Il continue de l'aimer toute sa vie et ne parvient jamais à l'oublier. Il ne s'est séparé de sa première épouse pour épouser Julie que sur l'injonction d'Auguste, mais son coeur est resté attaché à Vipsania. Comme le rapporte son biographe, une rencontre fortuite avec elle le bouleverse au point de verser des larmes et de la fixer du regard aussi longtemps qu'il le peut; il devient nécessaire de veiller à ce que Vipsania ne croise plus son chemin.

La fin de la vie d'Auguste

Vers la fin de sa vie, aux alentours de 6 av. J.C., Auguste se concentre sur ses deux petits-fils, Caius et Lucius César, enfants de Julie et d'Agrippa, en leur attribuant la seconde place dans l'ordre de succession impérial, laissant la troisième place à Tibère. Cette décision entraîne une mésentente entre Julie et Tibère, car elle est frustrée à l'idée de voir s'éloigner la possibilité de se positionner, avec son époux, au premier rang.

Il décide de s'éloigner de la cour, de Rome, et même de l'Italie, pour s'établir en Orient dans une vie privée. Auguste, profondément affecté par cette décision, prend au sérieux son apparent désintérêt pour la vie publique, fait semblant de l'oublier et le laisse à Rhodes pendant sept ans. C'est durant cette période qu'Auguste connaît des tragédies personnelles, comme si une malédiction s'abattait sur sa famille, apportant deuil et déshonneur.

Sa fille Julie s'engage dans plusieurs liaisons amoureuses et, pire encore, elle conspire avec l'un de ses amants contre la vie de son propre père. Le complot est découvert. Elle se livre à des excès particulièrement scandaleux. Les proches de l'empereur lui cachent la vérité pendant un certain temps, espérant que l'impunité pousse sa fille à commettre des imprudences irréparables. Lorsqu'il est finalement mis au courant, le père, en tant que réformateur des moeurs, se voit contraint d'agir : Julie est exilée sur l'île de Pandataria (aujourd'hui Ventotene), puis à Reggio de Calabre, avec ordre qu'elle y soit traitée avec la plus grande sévérité. Auguste, dans sa réprobation, interdit même après sa mort que son corps soit ramené dans le tombeau familial impérial.

Cependant, César Caius, l'héritier en puissance, empêche Tibère de revenir dans la capitale. A un certain moment, Tibère redoute même pour sa propre sécurité. En fin de compte, en 2 ap. J.C., Auguste lui permet de retourner à Rome, à la condition expresse qu'il reste éloigné des affaires d'Etat. Peu de temps après, alors que leur popularité atteint des sommets, Lucius et son frère Caius César décèdent successivement en 2 ap. J.C. et en 4 ap. J.C..

Suite à la disparition de ses autres héritiers, Auguste adopte Tibère le 27 juin de l'an 4 et le contraint à adopter Agrippa Postumus, le jeune frère de Lucius et Caius César, né en 12 av. J.C., peu après le décès de leur père Agrippa. Cependant, Agrippa Postumus, réputé pour souffrir de troubles mentaux, est mis à l'écart et exilé.

En 13 ap. J.C., ressentant l'approche de sa fin, Auguste implique progressivement Tibère dans la gestion des affaires de l'Etat, facilitant ainsi sa succession sans heurt l'année suivante, en 14 ap. J.C. Des mesures sont prises pour prévenir toute opposition en écartant Agrippa Postumus.

Tibère

À l'âge de seize ans, Tibère et Marcellus sont envoyés par Auguste en Hispanie en 25 av. J.C., avec le titre de Tribuns militaires. Ils prennent part au début des hostilités contre les Cantabres, une guerre initiée par Auguste en 26 av. J.C. et qui s'achèvera en 19 av. J.C. En 23 av. J.C., il est désigné questeur de l'annone, avec une avance de cinq ans sur le cursus honorum habituel. Durant l'hiver 21-20 av. J.C., alors âgé de 20 ans, il reçoit l'ordre d'Auguste de mener une armée de légionnaires en Arménie, où il applique une discipline stricte.

L'empereur charge Tibère d'évincer le roi Artaxas pour placer sur le trône son frère cadet Tigrane, favorable aux Romains. Les Parthes rendent les étendards et les prisonniers capturés depuis la défaite de Crassus à Carrhes. A son arrivée, Tibère se contente donc de couronner Tigrane III. Auguste est salué Imperator pour la neuvième fois et peut déclarer que l'Arménie est désormais un royaume vassal (20 av. J.C.).

En 16 av. J.C., après avoir été nommé préteur, il se joint à Auguste pour se rendre en Gaule, où ils restent jusqu'en 13 av. J.C. pour participer à l'organisation des nouvelles provinces gauloises. En 15 av. J.C., Tibère et son frère Drusus lancent une offensive contre les Rhètes ou les Vendétiques, peuples situés dans les Alpes, entre le Norique et la Gaule. Leurs victoires contribuent à la soumission des Alpes.

En 13 av. J.C., il reçoit sa première nomination au consulat et est envoyé en Illyrie par Auguste. L'année suivante, en 12 av. J.C., il soumet les Breuces et applique une politique de répression sévère à l'encontre des vaincus.

Durant les années 11 et 10 av. J.C., il mène des campagnes militaires contre les Dalmates et la Pannonie, qui se soulèvent de nouveau. Ces opérations prolongées aboutissent à l'annexion de la Dalmatie. Malgré la recommandation du sénat, Auguste refuse d'accorder le triomphe à son gendre.

En 9 av. J.C., Tibère entreprend la réorganisation de la nouvelle province d'Illyrie. C'est à ce moment qu'il reçoit la triste nouvelle du décès de son frère Drusus en Germanie. Drusus a fait une chute de cheval, se fracturant la jambe, et après trente jours d'agonie, il succombe dans cette contrée éloignée, située entre la Saale et le Weser, une région que nulle armée romaine n'avait explorée avant lui. Il décède dans les bras de son frère, qui avait fait le voyage depuis Rome en toute hâte, à l'âge de trente ans, en pleine gloire et au sommet de ses succès, profondément et durablement pleuré par sa famille et l'ensemble du peuple.

La disparition de Drusus n'altéra en rien le cours des événements. Son frère Tibère arriva suffisamment tôt pour non seulement lui fermer les yeux, mais aussi pour reprendre fermement le commandement de l'armée et poursuivre la conquête de la Germanie. Il demeura à la tête des troupes pour les deux années suivantes (746-747 depuis la fondation de Rome/8-7 av. J.C.), sans avoir à mener de grandes batailles durant cette période. Néanmoins, les légions romaines explorèrent la région entre le Rhin et l'Elbe. Lorsque Tibère exigea de toutes les tribus qu'elles reconnaissent explicitement la souveraineté de Rome, demandant une soumission totale, elles se soumirent sans exception. Les Sicambres furent les derniers à se rendre, mais il ne leur concéda pas de paix définitive. L'expédition menée peu après par Lucius Domitius Ahenobarbus révèle l'étendue de la pénétration romaine. En tant que gouverneur d'Illyricum, il réussit à installer une horde nomade d'Hermundures sur le territoire des Marcomans, probablement venus de Vindélicie, et avança au-delà de l'Elbe supérieure sans rencontrer d'opposition. Les Marcomans se retrouvèrent isolés en Bohème, tandis que le reste de la Germanie, entre le Rhin et l'Elbe, devenait une province romaine, qui était cependant loin d'être entièrement pacifiée.

En 6 av. J.C., Auguste accorde à Tibère la puissance tribunitienne pour une durée de cinq ans. Cependant, malgré cette distinction, Tibère choisit de se retirer de la scène politique et réside à Rhodes de l'an 6 av. J.C. à l'an 1 ap. J.C.

Le 27 juin de l'an 4, Auguste procède à l'adoption de Tibère. Peu après, il est renvoyé en Germanie. Suite à un voyage marqué par les acclamations de ses soldats, il mène des campagnes militaires au coeur de la Germanie durant les années 4 et 5, occupant l'ensemble des territoires du Nord et du centre situés entre le Rhin et l'Elbe. Cependant, le soulèvement en Pannonie et en Dalmatie survenu en l'an 5 l'empêche de prendre possession du Sud de la Germanie et d'établir l'Elbe comme nouvelle limite de l'Empire, au lieu du Rhin. Dans l'urgence, Tibère signe un accord de paix avec Marobod, le chef des Marcomans, pour éviter une alliance de celui-ci avec les insurgés.

De 6 à 9, il mène la répression d'une vaste révolte en Illyrie, mobilisant d'importantes forces romaines : environ dix légions et plus de quatre-vingt unités auxiliaires, soit près de 120 000 hommes. En 7, Auguste détache Germanicus auprès de Tibère en tant que questeur. Il remporte plusieurs victoires consécutives sur les insurgés. En 8, il lance une offensive qui rétablit l'ordre en Pannonie. En 9, sa victoire à Andretium en Dalmatie clôt quatre années de conflit. Salué de nouveau comme Imperator, il se voit décerner un triomphe.

Egalement en l'an 9, suite à la catastrophe subie par Varus en Germanie, Tibère, ayant achevé la pacification de l'Illyrie, retourne à Rome. Il décline l'offre d'un triomphe, en signe de respect pour le deuil national causé par la défaite de Varus. Les trois légions sous le commandement de Varus furent entièrement détruites, entraînant la perte des territoires conquis au-delà du Rhin.

Il se dirige de nouveau vers le Rhin pour défendre la Gaule contre une potentielle invasion germanique. Une fois en Germanie, il prend pleinement conscience de l'ampleur de la défaite de Varus, qui rend impossible la reconquête des territoires perdus entre le Rhin et l'Ebre. Il renforce alors la frontière le long du Rhin, s'assurant de la loyauté des peuples germaniques résidant dans la région.

En octobre de l'an 12, il rentre à Rome pour y célébrer son triomphe.

Ensuite, en 12 ap. J.C., Auguste lui octroie l'Imperium Majus, lui accordant ainsi une corégence totale sur l'administration des provinces. En 13 ap. J.C., Tibère reçoit la puissance tribunitienne à vie.

La succession d'Auguste

Les contributions de Tibère à l'empire durant les années critiques, marquées par la menace de Marbod (ou Marobod) sur la Pannonie rebelle en 5-6 ap. J.C. et la perte tragique de 30 000 soldats romains, ont progressivement dissipé les réticences d'Auguste à son égard. En 13 ap. J.C., à l'approche de sa mort, Auguste le choisit comme collègue. Par un sénatus-consulte et une loi des comices centuriates, il lui confère les attributions les plus significatives du pouvoir impérial : la puissance tribunitienne, l'autorité proconsulaire sur les provinces, le commandement suprême des armées et le droit de procéder au recensement.

Tibère avait réuni le sénat pour discuter des honneurs à accorder à son père. Les Vestales, dépositaires du testament d'Auguste, le présentèrent à la curie. Rédigé seize mois plus tôt, ce testament désignait Tibère et Livie comme héritiers principaux, et en leur absence, Drusus, le fils de Tibère, hériterait d'un tiers, tandis que Germanicus et ses trois fils se partageraient le reste. Auguste avait également pris la décision inhabituelle d'adopter Livie, qui serait désormais connue sous le nom de Julia Augusta. Il léguait 40 millions de sesterces au peuple romain, soit au trésor public, 3,5 millions à la plèbe urbaine, 1 000 sesterces à chaque garde prétorien, 500 à chaque soldat des cohortes urbaines et 300 à chaque légionnaire.

Tibère empereur

Le 19 août 14 ap. J.C., Tibère est désigné comme successeur.



Dies imperii : le 19 août 14 ap. J.C.

À l'âge de 56 ans et attaché au respect de la légalité, il attend que le sénat ratifie sa nomination.

Un enjeu dynastique pressant se présente. Agrippa Postumus, adopté par Auguste en 4 ap. J.C. puis relégué en exil sur l'île de Planasie, constitue une menace potentielle.

Tibère procède à son élimination.


La poursuite du principat

Il s'est proclamé le continuateur de la politique d'Auguste.

Tibère, prétendant suivre la voie de la modération feinte caractéristique du Principat, s'inscrit dans cette continuité tout en alternant entre un semblant de retrait et des actes de violence extrême. Cette dynamique entretient une illusion de renouveau des espoirs, systématiquement anéantis, et le mirage d'un retour à la république, illusion qui coûtera la vie à de nombreux généraux naïfs. Le testament d'Auguste contraint Tibère à maintenir cette façade. Il simula un transfert de pouvoir au sénat et aux consuls, feignant l'incertitude sur ses propres droits. Depuis le palais de l'empereur mourant, l'ordre fut donné d'assassiner Agrippa Posthume (Postumus). À son retour, le soldat exécutant fut désavoué par l'empereur, qui déclara n'avoir donné aucun ordre et renvoya la responsabilité au sénat, lequel, indifférent au sort de la victime, ne revisita jamais l'affaire.

Le sénat

Tibère initiera son règne par des gestes de bienveillance envers le sénat, envisageant de mettre en place une dyarchie, soit un partage du pouvoir avec cette institution.

Néanmoins, il poursuivra la centralisation du pouvoir initiée par Auguste, en transférant les élections du Champ de Mars à la Curie. Ainsi, le sénat se voit attribuer les fonctions des comices; et bien que Tibère lui confère une apparence de pouvoir électoral, il lui octroiera également une façade de pouvoir législatif. Tibère, qui communiquait régulièrement avec le sénat par des lettres ou des libelles lus par des questeurs, délaissera même, dans la seconde moitié de son règne, la formalité de consulter le conseil privé établi par Auguste pour l'élaboration de ces textes. Il permettra également au sénat, devenu un outil docile des volontés impériales, d'empiéter sur d'autres juridictions en se réservant le droit de juger de plus en plus d'affaires. Sous ce second empereur, le sénat, endossant simultanément les rôles législatif, électoral et judiciaire, occupera une place encore plus prépondérante dans l'Etat que sous son prédécesseur, monopolisant la scène politique. Toutefois, il est crucial de se rappeler que le sénat joue un rôle que le prince lui-même orchestre et contrôle.

Sa modestie

Tibère exerce son pouvoir avec discernement et sans recourir à la violence. Des rumeurs circulaient selon lesquelles il aurait laissé Julie mourir dans la pauvreté en 14, et aurait ordonné l'assassinat de Sempr. Gracchus, un amant de sa femme, exilé depuis quatorze ans sur l'île de Cercine; cependant, pour un Romain, de tels actes ne constituent pas des fautes. Il décline les honneurs et les temples qu'on souhaite lui consacrer, interdit que l'on prête serment en son nom, qu'on le nomme Père de la patrie, seigneur ou maître; il rejette le titre d'Imperator, ainsi que la couronne civique qu'on désirait placer à l'entrée de son palais, refuse qu'on évoque ses "occupations divines" et repousse les flatteries serviles du sénat, en tant qu'homme conscient de leur véritable valeur.

Lorsqu'il fut proposé de nommer le mois de sa naissance après lui, il rétorqua : "Et que ferez-vous lorsque vous aurez eu treize empereurs ?"

Il refusait que l'on prête serment sur ses actions. Il n'utilisa le nom d'Auguste, qui lui revenait par héritage, que dans sa correspondance avec les rois et les dirigeants. Il n'accepta le consulat que trois fois : une première fois pour quelques jours seulement, une seconde fois pour trois mois, et la dernière en son absence jusqu'aux ides de mai. Son aversion pour la flatterie était telle qu'il ne laissait aucun sénateur accompagner sa litière, que ce soit dans un but de courtoisie ou pour discuter d'affaires. Lorsqu'une personne l'appela "maître", il lui fit savoir qu'il ne devait plus jamais lui adresser un tel affront. Son attitude envers les sénateurs était d'autant plus remarquable qu'il avait lui-même souvent frôlé les limites de la courtoisie par ses marques de déférence et de respect envers chacun et envers tous.

Il mène une vie sobre, semblable à celle d'un riche citoyen; ses comportements, s'ils ne sont pas chaleureux, restent courtois. Il se lève en présence des consuls, leur délègue la majorité des dossiers et, pour toute décision, sollicite l'avis du sénat, tolérant les oppositions, les vetos des tribuns, et même les critiques que lui adressait parfois une liberté en déclin. Il interdit les enquêtes sur les critiques formulées contre lui ou sa mère. Les injures, les rumeurs malveillantes et les écrits diffamatoires à son encontre ou à celle de sa famille le laissent indifférent.

Livie

Tibère adopte des stratégies pour réduire l'influence de sa mère, que le testament d'Auguste avait élevée au rang d'Augusta. Il lui dénie le titre de "Mère de la Patrie" ainsi que les honneurs de licteur que le sénat souhaite lui attribuer.

Elle s'éteint en 29, à l'âge de 86 ans. Son corps est inhumé dans le mausolée d'Auguste, à Rome, en l'absence de Tibère : c'est Caligula qui fait son oraison funèbre. Le sénat suggère de la diviniser et de lui consacrer un arc de triomphe : Tibère, outre le fait qu'il s'oppose à ses dernières volontés, rejette son élévation au rang de déesse et bloque la construction de l'arc - deux distinctions jamais accordées auparavant à une femme. Ce sera l'empereur Claude qui, le 17 janvier 42 après J.-C., lui conférera la divinité, plaçant ainsi les deux figures fondatrices du principat, Divus Augustus et Diva Augusta, sur un pied d'égalité.

Germanicus

Germanicus, fils adoptif de Tibère, est également l'arrière-petit-fils d'Auguste, descendant de la famille julienne par sa mère Antonia et marié à Agrippine l'Aînée, la petite-fille d'Auguste. Il est désigné comme l'héritier de Tibère.

Entre 14 et 16 après J.-C., Germanicus reste avec les forces romaines sur le Rhin.

Durant cette période, huit légions sont stationnées le long du Rhin, divisées en deux camps, toutes placées sous le commandement de Germanicus, alors gouverneur de la Gaule. Face à l'offre de l'empire par ses soldats, Germanicus décline, affirmant qu'il préférerait mourir.

Il conduit ses troupes dans plusieurs campagnes au coeur de la Germanie, réussissant à récupérer deux des trois aigles légionnaires perdues lors de la désastreuse bataille de la forêt de Teutobourg, et organise l'enterrement des dépouilles des soldats romains. Les légions rendent ainsi les derniers honneurs à ces restes abandonnés depuis six ans; Germanicus lui-même dépose la première pelletée de terre sur la tombe.

Par la suite, Tibère décide d'abandonner l'idée d'étendre la frontière à l'Est du Rhin et met fin aux campagnes militaires, qu'il considère comme onéreuses et vaines, en rappelant Germanicus à Rome.

A Rome, Germanicus reçoit des lettres de Tibère l'invitant pour un second consulat et un triomphe. Il avait demandé une année supplémentaire, assurant qu'il pourrait soumettre les tribus barbares en quelques mois. Cependant, comprenant les non-dits de Tibère, Germanicus quitte le champ de bataille et ses légions profondément attachées à lui.

Le 26 mai 17, il célèbre son triomphe. L'année suivante, il est nommé consul, en même temps que Tibère.

Au moment de sa nomination comme consul, Germanicus se trouve déjà en Orient, chargé de résoudre divers problèmes dans ces provinces.

Il parvint en Arménie, où il installa comme roi le fils d'un loyal vassal de l'empire, issu de la lignée royale du Pont sous Polémon, et le couronna lui-même à Artaxata. La situation en Cappadoce fut réglée de manière encore plus directe : elle reçut un statut légal et un gouverneur fut nommé; quelques villes furent choisies pour y établir sa juridiction; et afin d'assurer un avantage au peuple suite à ces changements, une réduction des tributs précédemment versés à leurs monarques fut appliquée. Une démarche similaire fut adoptée pour la Comagène. En Syrie, Germanicus rencontra des délégués du roi des Parthes. Artaban sollicitait la reconduction de l'alliance, proposait une rencontre avec le fils de l'empereur aux abords de l'Euphrate et demandait l'éviction de son rival.

Il se retrouvera en désaccord avec Cnaeus Pison, le nouveau gouverneur de Syrie. Pison avait été nommé gouverneur de Syrie au moment où Germanicus était envoyé en Orient, une nomination qui semblait intentionnelle. Pison et sa femme Plancine, proche d'Augusta (Livie), étaient au courant de l'animosité de Livie envers Agrippine, l'épouse de Germanicus; et bien que Tibère n'ait pas de méfiance précise, il était content d'avoir près du jeune prince un surveillant zélé de ses propres intérêts.

Germanicus avait exprimé le désir de découvrir l'Egypte et ses merveilles. Malgré une visite effectuée sans faste, en simple citoyen, cela constituait néanmoins une violation des règles établies par Auguste, dépassant ainsi ses prérogatives. Tibère le critiqua sévèrement pour avoir négligé les lois, tout en lui permettant de terminer son périple, et lui accorda même l'ovation en reconnaissance de ses exploits en Orient. A son retour en Syrie, Germanicus constata que Pison avait modifié toutes ses directives. Des conflits éclatèrent entre eux, et le gouverneur récalcitrant choisit de déserter sa province plutôt que de se plier. Cependant, l'annonce de la maladie grave de Germanicus le retint à Antioche. Lorsque le prince se rétablit brièvement, il refusa les célébrations pour sa guérison et se dirigea vers Séleucie, où les rumeurs d'une rechute plus grave le stoppèrent de nouveau. Autour d'Agrippine, on murmurait un empoisonnement. Des ossements, des inscriptions magiques, des amulettes, le nom de Germanicus inscrit sur des lamelles de plomb, des cendres teintées de sang, et d'autres vestiges de sortilèges, censés maudire quelqu'un auprès des divinités infernales, furent découverts. Les agents de Pison, venus observer l'évolution de la maladie, semblaient indiquer l'origine du mal. C'est ce que soutenaient les proches du prince, bien que lui-même rejetait ces accusations. On n'envoie pas de lettre de rupture à son meurtrier pour renoncer à son amitié, et pourtant, c'est ce que Germanicus fit avec Pison. Après de brefs moments d'espoir dus à de nouvelles crises, l'état du malade se détériora et il succomba, laissant, selon Tacite, à son père le soin de le venger et à sa femme le conseil de tempérer son orgueil et ses ambitions. Germanicus mourut à l'âge de 34 ans, le 9 octobre 19 après J.-C.

Expulsé de sa province par Germanicus, Pison avait accueilli avec une satisfaction déplacée la nouvelle de son décès et s'était immédiatement dirigé vers son gouvernement. Toutefois, les légats et les sénateurs présents en Syrie avaient confié le commandement à l'un d'entre eux; face à cela, Pison n'hésita pas à engager un conflit civil. Cette erreur lui fut fatale : Tibère ne pouvait tolérer une menace à la paix publique. Vaincu, Pison fut contraint d'embarquer de force vers l'Italie, où des accusateurs l'attendaient. Ils souhaitaient que l'empereur soit l'unique arbitre du procès. Si Tibère avait redouté des révélations gênantes, il aurait accepté cette proposition; au lieu de cela, il confia l'affaire au sénat, exigeant de lui une impartialité et une justice rigoureuses. Il présida lui-même le procès; et l'accusé, selon l'historien, le regarda, terrifié, devant un homme sans compassion, sans colère, inexpressif et inscrutable. Cela représente le portrait le plus fidèle de Tibère que Tacite nous ait transmis. Accusé de meurtre, Pison fut contraint au suicide.

Drusus II

Drusus, le fils de Tibère, devient l'héritier présomptif.

En l'an 17, il est désigné gouverneur de Pannonie, doté de pouvoirs exceptionnels. Ayant occupé la fonction de questeur en 11, il materne la rébellion des légions pannoniennes en 14 et remporte une victoire sur les Alamans. Il est élu consul en 15 et sert comme gouverneur d'Illyrie de 17 à 20. Il retourne à Rome le 28 mai 20 pour y célébrer un triomphe. L'année suivante, il occupe le consulat aux côtés de Tibère.

Le décès de Germanicus en 19 lui dégage la voie vers la succession. En 22, il partage la puissance tribunitienne avec son père.

Il décède prématurément le 23 septembre 23, à Rome, peu avant d'atteindre la quarantaine.

Huit ans après sa mort, il sera révélé qu'il avait été empoisonné par son épouse Livilla, en complicité avec son amant Séjan, préfet du prétoire.

La paix intérieure

Sur les frontières, Tibère s'efforcera de préserver la paix. En tant qu'héritier et successeur de la politique d'Auguste, il considère que l'empire a désormais atteint son extension maximale. Il augmentera également le nombre de postes militaires en Italie. Il crée un camp à Rome pour y regrouper les cohortes prétoriennes, qui étaient auparavant dispersées parmi les citoyens.

A chaque occasion possible, il favorise la diplomatie plutôt que le recours à la force. Il opte pour établir un protectorat sur une région plutôt que de l'annexer directement. Cette approche s'avère très efficace le long du Danube et en Orient. Cependant, au sein de son propre empire, face à la nécessité de mater deux révoltes, l'une en Afrique en 17 après J.-C. et l'autre en Gaule en 21 après J.-C., il n'hésite pas à recourir à une répression sanglante.

Il maintient néanmoins les principaux gouverneurs de province en fonction bien plus longtemps qu'Auguste ne le faisait, avec Poppaeus Sabinus en Mésie pendant vingt-cinq ans comme exemple le plus marquant. Toutefois, il sait rappeler à l'ordre avec fermeté les gouverneurs qui dépassent les limites de leur mandat. Il apporte également un soutien significatif à Rome lorsqu'elle est touchée par des incendies en 27 et 36.

Séjan

L'assassinat de Drusus représente seulement l'un des nombreux forfaits reprochés à Lucius Aelius Sejanus.

Aelius Séjan, issu de l'ordre équestre, a su conquérir la confiance de Tibère grâce à son engagement sans faille, son énergie débordante et ses conseils judicieux et avisés. Tibère ne pouvait remettre en question la loyauté de celui qui, un jour de 26, alors que tous s'écartaient, demeura à ses côtés et lui sauva la vie en soutenant une voûte prête à s'effondrer sur eux. De ce fait, il lui accorda une confiance sans bornes : devant le sénat et le peuple, il le qualifiait de partenaire de ses efforts, lui confiant la répartition des honneurs et la gouvernance des provinces.

Séjan était à la tête des gardes prétoriennes, composées de neuf mille hommes. Ces unités, éparpillées à travers la ville, ses périphéries et même dans les villages alentours, voyaient leur discipline s'éroder. Il les regroupa dans un camp fortifié situé entre les voies partant des portes Viminale et Colline : une réforme potentiellement bénéfique si le pouvoir exécutif parvenait à maintenir son autorité sur elles, mais risquée dans le cas contraire, si le gouvernement devenait dépendant de leur soutien. Cette mesure offrait également une opportunité pour des ambitions personnelles, ce que Séjan envisageait pour ses dix mille prétoriens.

Il s'engage dans la bataille pour le pouvoir deux ans après avoir éliminé Drusus, sa première cible, en sollicitant de Tibère l'autorisation d'épouser Livilla, la veuve de Drusus. Tibère rejette sa demande, conscient que cela compromettrait la ligne de succession légitime, d'autant plus que Séjan n'appartient qu'à l'ordre équestre et non au sénat. En 29, le décès de Livie, la mère de Tibère, pousse l'empereur à se retirer davantage. L'année suivante, Il déménage sur l'île de Capri et ne retournera jamais à Rome. Il délègue progressivement plus de responsabilités à Séjan, qui reste dans la capitale. Le préfet du prétoire acquiert une influence inégalée, le positionnant au-dessus des consuls et des sénateurs.

Séjan s'efforce de devenir de plus en plus incontournable pour Tibère, en nourrissant et en exacerbant sa défiance innée et son aversion pour les autres. La moindre marque de désapprobation envers la politique impériale devient prétexte à une répression extrême. Les sentences s'abattent si fréquemment qu'il est juste de dire que Séjan impose un véritable climat de terreur au sein de l'aristocratie romaine.

Dans la réalisation de ses objectifs ambitieux, le seul obstacle restant pour le préfet du prétoire, Séjan, était les fils de Germanicus. Ainsi, il attisait les soupçons du prince envers ses héritiers jugés trop impatients, le persuadant de leur assigner des gardes, de surveiller leurs faits et gestes, ainsi que les visites et messages qu'ils recevaient.

L'aîné, Néron, favori imprudent de sa mère Agrippine et encouragé par ses affranchis et clients à s'emparer d'une position dont ils bénéficieraient, se rendait suspect par son impatience et ses critiques arrogantes envers le favori "qui exploitait la faiblesse d'un vieillard". Sa propre épouse et son frère Drusus le trahissaient en rapportant ses faits et gestes à Séjan, qui nourrissait chez Drusus l'ambition de l'empire.

Tibère jugea nécessaire d'agir contre ce groupe. Le premier jour de janvier de l'année 28, Sabinus, le plus fervent soutien d'Agrippine, fut emprisonné.

Tibère n'avait donc qu'à observer les événements se dérouler pour se défaire de ceux qu'il redoutait. Agrippine et Néron furent rapidement éliminés en 29. Livie, qui aurait plaidé en leur faveur, venait de décéder, et Séjan, libéré de l'influence de l'ancienne impératrice, accélérait leur chute. Retiré du monde et isolé du vacarme des exécutions à Rome, Tibère devint impitoyable avec facilité. Les fils de Germanicus, devenus sources de conflit, furent écartés. Agrippine fut arrachée à Rome et emmenée sur l'île de Pandataria par un tribun qui, selon certaines sources, lui aurait crevé un oeil avec une telle brutalité qu'elle finit par mourir de faim; Néron, exilé à Pontia, fut bientôt tué ou se suicida en 31; son frère Drusus fut enfermé dans une cellule du palais à Rome; la jeunesse du troisième, Caius, le sauva. Il était prudent de le conserver comme une option pour des situations imprévues, à moins qu'il ne faille également s'en défaire plus tard, s'il représentait une menace.

La famille de Germanicus semblait anéantie; Séjan se voyait déjà atteindre son objectif. Il avait précédemment osé demander en mariage Livilla, veuve de Drusus, ce qui revenait presque à revendiquer le statut de gendre et d'héritier de l'empereur. Tibère avait refusé, mais de manière cordiale; en l'an 31, il fit de Séjan son collègue dans le consulat. Le sénat, croyant deviner ses ambitions, les anticipa et éveilla les soupçons de Tibère en accordant à Séjan les mêmes honneurs qu'à l'empereur. Leurs statues furent érigées côte à côte, leurs sièges au théâtre placés ensemble, et il fut décrété qu'ils seraient consuls simultanément pour cinq ans. Séjan était presque devenu un demi-dieu; des sacrifices étaient offerts devant ses effigies. Certains le nommaient le véritable empereur, tandis que l'autre, disaient-ils, n'était que le roi de Capri.

La belle-soeur de Tibère, Antonia, qui, comme Agrippine, avait honoré sa condition de veuve par une longue chasteté sans faille, détecta plus rapidement que le prince les manigances secrètes du conspirateur. Séjan, lui révélait-elle, tramait un complot avec des sénateurs. Des commandants militaires, des soldats corrompus par l'argent, voire des affranchis du palais impérial, faisaient partie de la conspiration; et elle lui exposait tous les détails. Tibère hésita à agir immédiatement. Il préféra d'abord évaluer les véritables intentions du sénat, du peuple et des prétoriens, examiner les moyens dont disposait Séjan pour les neutraliser à l'avance, comme on le ferait d'un ennemi que l'on approche avec prudence et à distance, qu'on encercle progressivement avant de l'affronter directement au moment crucial pour le vaincre. Il avait déjà fait revenir Séjan de Capri à Rome, où son consulat le rendait apparemment indispensable, mais en réalité pour mieux l'observer là où Séjan se croyait le moins surveillé. Il commença par envoyer des lettres soigneusement rédigées pour révéler les différents sentiments. Parfois, il se plaignait de sa santé déclinante, d'autres fois, il affirmait aller beaucoup mieux. Alors que l'ancien favori souhaitait retourner en Campanie, il annonçait son propre retour imminent à Rome. Il critiquait parfois Séjan, mais le louait plus souvent. Il accordait des faveurs à ses amis et en maltraitait d'autres. Il nomma Séjan pontife, mais attribua également l'augurat et le pontificat d'Auguste à Caïus, qui semblait promis à un regain de faveur et de fortune face à la menace que représentait désormais l'assassin de sa propre famille. Avec ces titres, Tibère couvrit le jeune prince d'éloges et laissa entendre qu'il pourrait le désigner comme son successeur. Encouragé par l'enthousiasme populaire à l'annonce de l'élévation d'un fils de Germanicus, il se montra plus audacieux; un accusé, ennemi de Séjan, fut acquitté, et il interdit les sacrifices en l'honneur d'un homme encore vivant.

Alors que le préfet du prétoire était plongé dans l'incertitude, tantôt offensé, tantôt cajolé et rassuré, il manquait l'opportunité de contrer ces attaques sournoises par un coup d'Etat, et Tibère consolidait son soutien populaire, affaiblissait le camp de Séjan, et éloignait de lui les sénateurs qui le croyaient invincible. Finalement, Séjan, réalisant l'isolement croissant autour de lui, comprit qu'il était en danger, et sa connaissance approfondie de Tibère lui indiquait que la menace était un prélude immédiat à l'action. Il accéléra ses plans, cherchant et trouvant des complices pour un attentat contre la vie du Prince, mais Tibère, dans l'ombre, veillait : le moment était venu de frapper. Le 18 octobre, Macron, un commandant des prétoriens, débarque de Capri à Rome, de nuit. Il transmet sans délai ses instructions au consul Régulus et au préfet des gardes nocturnes. Au matin, il intercepte Séjan à l'entrée de la curie; surpris, ce dernier s'étonne de l'absence de lettres de Tibère pour lui. "J'en ai", réplique Macron, "et elles te confèrent la puissance tribunitienne". L'ex-favori, croyant que le prince se soumet à lui, se rend au sénat, euphorique. Macron, avant de le rejoindre, présente aux prétoriens accompagnant Séjan un message de Tibère le nommant leur chef, leur promet une récompense, puis les fait remplacer par des gardes nocturnes qui encerclent la curie. Il entre ensuite, remet aux consuls une lettre de l'empereur et sort immédiatement pour se diriger vers le camp des prétoriens afin d'y prévenir toute rébellion. Il avait pour consigne, en cas de trouble, de libérer Drusus de sa détention et de le présenter au sénat et au peuple.

La missive de Tibère était délibérément longue et complexe, conçue pour laisser à Macron le temps de vérifier la loyauté des gardes. Son contenu, embrouillé et difficile à déchiffrer, débutait par une question banale, émettait ensuite des critiques voilées envers Séjan, divaguait sur d'autres sujets avant de revenir sur Séjan, sans jamais montrer de colère ou d'agitation. Progressivement, l'empereur resserrait son étau, accusant ouvertement deux sénateurs, alliés de Séjan, et exigeant son arrestation. Soudain, les sénateurs qui le félicitaient un instant auparavant se détournent et l'invectivent, tandis que tribuns et préteurs l'encerclent, le consul l'arrête et le mène sous les huées jusqu'à la prison. Seule la conclusion du texte était explicite et irrévocable : Séjan était déclaré coupable de trahison et devait être immédiatement arrêté et exécuté. Stupéfait, Séjan se demandait si c'était bien de lui qu'il était question, murmurant : "Est-ce bien de moi qu'il s'agit ?" Il fut exécuté le soir même. Son corps, livré à la foule, fut traîné dans les rues pendant trois jours et démembré, au point qu'il ne restait plus rien à jeter dans le Tibre. Excitée par cette exécution spectaculaire, la foule s'en prit aux partisans du ministre déchu, tandis que les prétoriens, furieux d'avoir été écartés de cette mise en scène au profit des gardes nocturnes, se livraient à des incendies et des pillages dans la ville.

Après les exécutions perpétrées par la foule vinrent celles ordonnées par l'empereur : Blésus, l'oncle de Séjan; ses nombreux amis, car il avait longtemps exercé un grand pouvoir; et ses enfants, assassinés en deux temps. Les plus jeunes avaient été initialement épargnés. "Conduits à la prison, le fils saisissait le sort qui l'attendait; la fille, encore très jeune, s'interrogeait sur son crime, demandant où on l'emmenait, proposant qu'une fessée suffirait et qu'elle ne recommencerait plus. Face à l'interdit absolu de condamner à mort une vierge, les historiens de l'époque racontent que l'exécuteur abusa d'elle avant de la mettre à mort (Tacite)."

Les actes de cruauté de Tibère trouvent leur origine à partir de cet événement : jusqu'à ce moment, c'était davantage le ministre que le souverain qui était blâmé. Mais lorsque Apicata, la veuve de Séjan, lui révéla que son époux avait empoisonné Drusus sept ans plus tôt, provoquant ainsi les nombreux dangers auxquels la vieillesse de Tibère était exposée; lorsqu'il réalisa avoir été surpassé en ruse par un homme qui, pour mieux consolider ses plans, avait risqué sa propre vie pour le sauver, et qu'il prit conscience de l'ampleur de la conspiration et du nombre de complices, il ne vit plus de salut que dans la terreur instaurée par l'exécuteur. Apicata fut par la suite forcée au suicide. A Rome, le sénat continua pendant longtemps à encourager et à recevoir des accusations contre les associés de celui qui avait non seulement empoisonné le fils de l'empereur mais avait également conspiré contre l'empereur lui-même. Tibère fut le premier à se lasser de cette vague d'assassinats, exacerbée par la lâcheté des élites. Pour y mettre un terme, il ordonna l'exécution de tous les prisonniers. En une seule journée, vingt personnes, y compris des femmes et des enfants, furent étranglées, traînées aux gémonies, puis jetées dans le Tibre. Après une brève pause, les condamnations reprirent; cette fois, Tibère y mit fin différemment : il fit exécuter les délateurs les plus notoires et interdit à tout soldat démobilisé de jouer le rôle d'accusateur. La délation devint ainsi un privilège réservé à l'ordre équestre et au sénat.

L'un des épisodes les plus tragiques fut la mort de Drusus. Ce prince n'avait guère de qualités louables : il avait trahi son frère, courtisé Séjan, et fut durement critiqué par Tacite. Cependant, Tibère se devait de respecter l'héritage de Germanicus. Lorsque des rumeurs de réconciliation entre Drusus et l'empereur circulèrent, l'enthousiasme manifesté par les Romains scella son sort. Durant neuf jours, le malheureux survécut en mangeant la bourre de son matelas, Tibère ayant refusé qu'un bourreau répande le sang d'un membre de la dynastie julienne.

Agrippine ne vécut pas longtemps après; elle choisit de mourir de faim le 18 octobre 33, malgré les efforts de ses gardiens qui tentaient de lui faire ingérer de la nourriture de force. Tibère attaqua sa réputation de manière lâche après sa mort, l'accusant de moeurs légères et reçut les remerciements de son sénat pour ne pas avoir jeté le corps de la petite-fille d'Auguste aux gémonies. Ainsi, à l'exception de Caligula, toute la descendance de Germanicus avait été éliminée, et l'opposition qu'elle incarnait avait été réprimée dans le sang.

Le vieux bouc

La villa Jovis
La Villa Jovis
Capri

Affecté par le décès de son fils Drusus et révulsé par l'exposition publique, Tibère se retire à Capri en 27. Tacite le dépeint comme un empereur sanguinaire et dépravé. Il s'entoure d'astrologues et manifeste un intérêt pour la littérature, qui a toujours compté parmi ses passions. L'empereur tente de réduire l'usage des emprunts grecs dans la langue latine. Néanmoins, Tibère possède une excellente maîtrise tant du grec que du latin. Il nourrit aussi un vif intérêt pour la mythologie.

Suétone prétend que "dans sa retraite de Capri, il avait imaginé des chambres garnies de bancs pour des obscénités secrètes. C'est là que des groupes de jeunes filles et de jeunes libertins, ramassés de tous côtés, et les inventeurs de voluptés monstrueuses qu'il appelait "spintries", formaient entre eux une triple chaîne, et se prostituaient ainsi en sa présence pour ranimer par ce spectacle ses désirs éteints. Il avait orné divers cabinets des peintures et des images les plus lascives. Il y avait aussi placé les livres d'Eléphantis, afin que nulle infamie ne manquât de modèle ordonné par lui. Les bois et les forêts n'étaient plus que des asiles consacrés à Vénus, où l'on voyait de toutes parts la jeunesse des deux sexes, dans le creux des rochers et dans des grottes, présentant des attitudes voluptueuses, en costumes de nymphes et de sylvains. Aussi, en jouant sur le nom de l'île, appelait-on communément Tibère, "Caprineus". "

La mort de Tibère

Alors que les procès pour haute trahison se succédaient à Rome, Tibère passait l'essentiel de ses dernières années à Capri, laissant la question de sa succession ouverte. La veuve de Germanicus s'était laissée mourir de faim sur l'île de Pandataria en octobre 33, et son second fils Drusus avait trouvé la mort en prison en Palestine la même année, tandis que son aîné, Néron, avait été mis à mort deux ans auparavant.

Seuls restaient Caius (Caligula), le dernier des fils de Germanicus encore en vie, et Tiberius Gemellus, petit-fils de Tibère et fils de Drusus. Caligula était dans la vingtaine, tandis que Gemellus était dix ans plus jeune. Tibère suspectait Gemellus d'être le fruit d'une liaison adultère entre Livilla et Séjan. Il choisit Caius comme son successeur.

Au début de l'année 37, Tibère, alors âgé de soixante-dix-huit ans, voyait sa santé décliner, bien que son esprit restât vif. Il tentait de masquer son affaiblissement physique par une fausse gaieté et changeait souvent de résidence. Il s'installa finalement dans une ancienne villa de Lucullus au cap Misène, en Campanie. Lors d'une visite, Chariclès, un médecin réputé, en profitant d'un baiser d'adieu sur la main de l'empereur, vérifia son pouls et conclut à l'imminence de sa mort, ce que Tibère perçut. Au lieu de réagir avec colère, il ordonna un banquet, prolongeant la soirée en l'honneur de l'ami qui allait le quitter. Chariclès informa alors Macron que l'empereur ne survivrait pas plus de deux jours. Le 16 mars, Tibère fut victime d'un long malaise; à son réveil, appelant ses esclaves qui ne répondirent pas, il tenta de se lever, soutenu par sa volonté, mais s'effondra mort à côté de son lit.

Selon Tacite, Caligula aurait ôté la bague de Tibère, le croyant mort, et aurait été acclamé empereur par la foule. Lorsqu'on apprit que Tibère reprenait conscience et demandait à manger, Caligula, effrayé, et Macron, le commandant de la garde prétorienne, auraient rapidement étouffé le vieil homme avec un coussin.

La nouvelle de la mort de Tibère fut accueillie avec joie par le peuple romain, qui célébra sa disparition. Certains suggérèrent de jeter le corps dans le Tibre comme celui d'un criminel ordinaire, mais Caligula veilla à ce qu'il soit ramené à Rome sous escorte, puis incinéré par les soldats sur le Champ de Mars. Le 4 avril, ses cendres furent déposées dans le Mausolée d'Auguste, sans qu'il y ait eu de divinisation ou de condamnation officielle.

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