Domitien : né le 24 octobre 51 à Rome, mort le 18 septembre 96 à RomeTitre : Imperator Caesar Domitianus Augustus (14 septembre 81 - 18 septembre 96 : 15 ans)Nom
Musées du Capitole, Rome Titus Flavius Domitianus. Naissance24 octobre 51 (neuvième jour avant les calendes de novembre) à Rome, dans un lieu surnommé "Malum Punicum", au quartier de la Grenade, dans une maison dont il fit depuis le temple de la famille Flavia. PèreL'empereur Vespasien. MèreFlavia Domitilla. EnfanceIl n'a pas grandi à la cour comme son frère Titus, mais a probablement été confié à son oncle Flavius Sabinus pendant que Vespasien, loin de Rome, administrait l'Afrique puis réprimait la révolte des Juifs. Alors que son père concentre ses efforts sur Titus, lui offrant une éducation complète, il néglige Domitien en lui dispensant une formation rudimentaire. Ainsi, il ne lui fait suivre aucun enseignement approfondi ni en administration ni en stratégie militaire. Vespasien avait conféré des honneurs à Domitien mais sans lui attribuer de réel pouvoir. A la mort de Titus, il ne possédait que les titres de César et de Prince de la jeunesse. Son tempérament impulsif et rancunier déplaisait à son père, qui choisissait de le tenir à l'écart des affaires du gouvernement. PortraitDomitien était grand, avec un visage légèrement rougi et de grands yeux, quoique faibles. Il avait une apparence belle et agréable, particulièrement durant sa jeunesse, bien qu'il eût des orteils anormalement courts. Avec le temps, il perdit ses cheveux, son ventre s'arrondit et ses jambes s'amincirent considérablement à la suite d'une maladie prolongée. Il était si contrarié par sa calvitie qu'il se sentait offensé lorsqu'on se moquait ou insultait quelqu'un d'autre à ce sujet, même en plaisantant. Ne supportant guère la fatigue, il se déplaçait peu à pied en ville. Durant les campagnes militaires et les déplacements, il préférait rarement monter à cheval, optant le plus souvent pour une litière. Pendant ses moments de détente, il s'adonnait aux jeux de hasard, y compris tôt le matin et pendant les jours de fête. Il prenait son bain dans la journée et dînait abondamment, si bien qu'au souper, il se contentait généralement d'une pomme et d'une petite boisson versée dans une fiole. Il organisait fréquemment des banquets copieux, mais toujours expédiés rapidement, et ne prolongeait jamais le repas après le coucher du soleil. Ces rassemblements n'étaient pas des orgies; en effet, il se retirait seul pour se promener dans un endroit isolé jusqu'à ce qu'il s'endorme. Sa débauche notoire était telle qu'il comptait les plaisirs amoureux parmi ses activités quotidiennes, les qualifiant de "gymnastique du lit". On racontait qu'il se chargeait lui-même d'épiler ses maîtresses et qu'il se baignait entouré des prostituées les plus infâmes. Son entourage ne se fait pas faute de ridiculiser ses travers. "Dans son domaine d'Albano il passait la plus grande partie de son temps à une foule de passe-temps ridicules, comme de percer des mouches avec un stylet" (Dion Cassius). "Cette manie est à l'origine d'une foule de plaisanteries : par exemple, à un visiteur qui demandait s'il y avait quelqu'un au palais, on répondait : non, pas même une mouche" (Aurelius Victor). Domitien n'est pas dépourvu de mérites notables : il est intelligent, travailleur acharné, doué pour les affaires, et possède un excellent sens de l'organisation, ainsi qu'une perspicacité remarquable pour cerner les exigences du moment. Cependant, il a des défauts persistants. Contrairement à son frère Titus, qui a su atténuer ses faiblesses en accédant au trône, Domitien les amplifie, au point de développer une maladie liée à son orgueil, sa méfiance, son égoïsme, sa jalousie et sa cruauté. Vers la fin de sa vie, il va jusqu'à recouvrir les murs de son palais de miroirs, lui permettant de surveiller tout ce qui se passe autour de lui, craignant un attentat. MariageLorsque Vespasien accède au pouvoir, Domitien s'éprend de Domitia Longina, fille du général Corbulon, dont les victoires militaires avaient éveillé la jalousie de Néron, qui avait fini par lui ordonner de se suicider. Domitia était alors mariée à Aelius Lamia. En 70, elle se sépare de son mari pour se marier avec Domitien. Trois ans plus tard, en 73, elle donne naissance à un fils qui décède prématurément à l'âge de deux ou trois ans. Par la suite, il répudie Domitia pour inconduite, puis la reprend et, en 90, elle lui donne un second fils qu'il nomme également Vespasien. Ce deuxième enfant décède également jeune, à l'âge de cinq ans. Lié à Domitia par les liens du mariage, il rejeta avec fermeté la proposition de prendre pour épouse la fille encore vierge de son frère. Cependant, peu après son mariage avec un autre homme, il la séduisit alors même que Titus était encore en vie. Après la disparition de son père et de son mari, son amour pour elle devint passionné et notoire. Il fut même indirectement responsable de sa mort, l'ayant contrainte à subir un avortement. CursusEn décembre 69, Domitien est à Rome lors de la conquête de la ville par Antonius Primus, l'allié de son père. Durant le conflit contre Vitellius, il s'était réfugié au Capitole avec son oncle Sabinus et quelques troupes. Encerclé par les ennemis et menacé par les incendies, il trouva refuge durant la nuit chez un gardien du temple. Le lendemain matin, déguisé en prêtre d'Isis, il traversa discrètement parmi les sacrificateurs et trouva asile près du Vélabre chez un client de son père. Il réussit ainsi à échapper à ceux qui le traquaient. Après la conquête de la ville, Vespasien charge Domitien de le représenter à Rome. Toutefois, Domitien saisit cette opportunité pour mener une existence extrêmement dissolue. Cette conduite est l'une des raisons pour lesquelles Vespasien décide d'envoyer son autre fils, Titus, achever la guerre de Judée et de revenir à Rome au plus vite. Par la suite, bien qu'il soit couvert d'honneurs, son père et son frère lui confient peu de responsabilités. Il semble que Domitien ait eu des relations plutôt distantes avec son frère Titus, mais rien ne laisse supposer qu'il ait conspiré contre lui, et encore moins qu'il soit responsable de son empoisonnement. Il lança une campagne en Gaule et en Germanie, bien qu'elle ne fût pas indispensable, allant à l'encontre des recommandations des proches de son père, dans le seul but de rivaliser avec les exploits et la renommée de Titus. Vespasien le réprimanda pour cela et, afin de lui rappeler son âge et sa position, le garda près de lui. Chaque fois qu'il se montrait en public avec Titus, Domitien les suivait en litière. Lors du triomphe pour la Judée, il participa monté sur un cheval blanc. Parmi les six consulats qu'il obtint, un seul fut régulier, et cela uniquement parce que son frère lui céda la priorité et lui apporta son soutien. Après la mort de son père, il hésita longtemps avant de décider s'il offrirait ou non une double gratification aux soldats. Il prit le risque d'annoncer qu'il avait été désigné co-héritier de l'empire, accusant même le testament d'avoir été falsifié. Dès lors, il n'arrêta pas de conspirer contre son frère, tant en secret qu'ouvertement. Lorsque ce dernier tomba gravement malade, il ne le soutint pas jusqu'à son dernier souffle, le laissant à l'abandon comme s'il était déjà mort. Il ne rendit hommage à sa mémoire que par l'apothéose et critiqua souvent son règne, tant dans ses discours que dans ses édits. Dies imperii : 14 septembre 81RègneLorsque Titus tombe gravement malade en septembre 81, Domitien, dont les intentions de devenir empereur ne sont pas claires, prend rapidement des mesures pour éliminer toute opposition. Avant même le décès de Titus, il se précipite au camp prétorien à Rome et se fait proclamer empereur par les gardes. Le lendemain, le 14 septembre, le sénat confirme officiellement Domitien dans ses fonctions d'empereur. Il accéda à dix-sept consulats, un exploit sans précédent avant lui. Vespasien avait établi le retour au principat comme base de son gouvernement, mais Domitien, de son côté, instaura un régime de plus en plus centralisé. Il n'est donc pas surprenant qu'il suscite une animosité intense du sénat et de la classe politique, qui se retrouve exclue du pouvoir. Pour asseoir son gouvernement, il mise principalement sur : - l'armée, dont il renforce la loyauté en augmentant la solde des légionnaires de deux cent vingt-cinq à trois cents deniers par an; - la classe des chevaliers, qui prédomine dans les sphères des affaires et de la finance, à qui il confie l'administration de l'empire; - le peuple, en organisant de nombreuses festivités et en distribuant régulièrement de l'argent et des vivres. Ces mesures le rendent bien entendu très populaire dans les armées, la garde prétorienne, les provinces dont il surveille très étroitement la gestion et la plèbe de Rome. Mais en se donnant le titre officiel de "Dominus et Deus", il pousse les juifs et les chrétiens dans l'opposition. De 81 à 89, l'opposition politique et religieuse reste en attente, connaissant quelques moments de tension, particulièrement en 83, une année marquée par plusieurs complots auxquels Domitien doit faire face. A partir de 93, le sénat et les intellectuels entament un affrontement direct. En réponse, Domitien riposte de manière brutale, en ordonnant des exécutions, des expulsions et en menant une persécution sanglante qui touche de nombreux groupes, y compris les sénateurs, les chrétiens et les Juifs. Sa politique aux frontières repose sur deux principes complémentaires : renforcer la défense militaire et adopter une approche active envers les peuples vivant le long du limes, en les combattant ou en établissant un protectorat sur eux. Cette stratégie porte ses fruits en Bretagne et le long du Rhin. En Orient, il réussit à maintenir la paix avec les Parthes. Toutefois, sur le front du Danube, il essuie quatre défaites face aux Daces et perd deux légions, le forçant à négocier en position de faiblesse. A l'instar de l'empereur Néron, les biographies de Domitien présentent des portraits très diversifiés. Beaucoup se concentrent uniquement sur les trois dernières années de son règne, les plus violentes. Pline le Jeune et Tacite, issus du monde sénatorial, peignent délibérément son portrait en noir, le décrivant comme un homme au tempérament difficile, vaniteux, méfiant et mal supportant la comparaison avec son frère Titus. D'autres, comme Stace et Martial, mettent en avant les aspects positifs de son règne. Suétone, quant à lui, semble trouver un équilibre en mettant en lumière son sens du devoir et son souci de bien administrer les provinces, tout en innovant. Il note également la transformation progressive de cet empereur, qui passe de premier citoyen de l'Etat à un monarque absolu, tyrannique, cruel et cupide. L'ordre publicDepuis Auguste, Domitien fut le prince qui manifesta la plus grande sévérité en matière d'ordre public. Il adopta le titre de censeur perpétuel et maintint strictement la distinction des ordres lors des cérémonies officielles. Il réprima les auteurs de libelles et exclut du sénat un ancien questeur trop fervent amateur de pantomime. Bien que ses propres moeurs ne soient pas irréprochables, comme en témoigne la séduction de sa nièce Julie, il ne montrait aucune indulgence envers autrui. Contrairement à Vespasien et Titus qui avaient ignoré les écarts des prêtresses de Vesta, il, en tant que Grand Pontife, condamna à mort quatre vestales sur six : trois pour inceste et la quatrième, la grande vestale Cornelia, pour avoir eu de nombreux amants. Un membre de l'ordre équestre qui avait repris sa femme après l'avoir répudiée pour adultère fut exclu de la liste des juges. Les femmes déshonorées se virent interdire l'usage de la litière et le droit de recevoir des legs et des successions. Face à la propagation de la mode des eunuques, il tenta de l'éradiquer pour protéger la morale publique et la bonne administration, en interdisant la castration. Il chercha également à rendre les affranchissements plus difficiles, à l'instar d'Auguste. Pour renforcer les liens traditionnels de la clientèle, il supprima les dons en argent de 25 as offerts par les patrons et rétablit la pratique des repas communs, les cenae rectae. Le Sénat estime avoir un rôle important dans la gestion de l'empire et considère que l'empereur doit prendre en compte ses souhaits et conseils. Pour Domitien, cependant, cela ne représente qu'une formalité sans importance. Bien qu'il place certains sénateurs dans des positions administratives élevées, il positionne clairement le véritable centre du pouvoir à la cour impériale, et non au sein du Sénat. Il entreprit la restauration de nombreux grands édifices ravagés par les flammes, y compris le Capitole qui avait de nouveau brûlé. Cependant, il effectuait ces restaurations sous son seul nom, omettant de mentionner les fondateurs originaux. Il érigea un nouveau temple sur le Capitole, qu'il dédia à Jupiter Gardien. Il est également à l'origine de la place aujourd'hui nommée Nerva, du temple de la famille Flavia, d'un stade, d'un odéon, et d'une naumachie dont les pierres furent plus tard utilisées pour réparer le grand cirque, endommagé par un incendie sur deux de ses côtés. Il ajouta deux nouvelles factions au cirque, la faction dorée et la faction de pourpre. Il interdit également aux bateleurs de se produire au théâtre, ne leur autorisant l'exercice de leur métier que dans les demeures privées. En réalité, les provinciaux sont de plus en plus impliqués dans la gestion de l'empire impérial et plusieurs consulats sont accordés à des hommes d'origine grecque. Dans ses directives aux gouverneurs et aux fonctionnaires, il adopte un ton direct et pragmatique, négligeant les formules de politesse superficielles. Il n'hésite pas à faire exécuter les sénateurs qui s'opposent à sa politique, ignorant les appels répétés du Sénat qui soulignent l'injustice pour un empereur d'exécuter ses égaux. Au fur et à mesure que son règne progresse et que sa paranoïa s'intensifie, Domitien se montre de plus en plus réceptif aux accusations des délateurs. Il soumet les suspects à la torture et crée un nouveau type de supplice qui consiste à brûler les parties génitales des victimes. L'agriculture en Italie, principalement axée sur la viticulture, était limitée, et Domitien interdit la plantation de nouvelles vignes pour favoriser la culture du blé. Pour rehausser le prix des vins italiens, il ordonna l'arrachage de la moitié des vignobles dans les provinces. Son père et son frère avaient semé le trouble parmi les colons en réappropriant au profit du fisc les terres en friche des colonies. Domitien, quant à lui, rendit ces terres aux anciens propriétaires, leur accordant le bénéfice de la prescription. Il augmenta la solde des soldats d'un tiers. Alors que César avait établi leur rémunération annuelle à neuf pi�ces d'or, et que ce montant était resté inchangé sous Domitien, il l'éleva à douze pièces. Pour prévenir les révoltes, il interdit la présence de deux légions dans un même camp et limita à 1000 sesterces le montant que chaque soldat pouvait déposer dans la caisse d'épargne de sa légion. Il envisageait également de réduire les effectifs de l'armée pour diminuer les dépenses, mais la menace des Barbares l'en dissuada. Les provincesL'armée pèse considérablement sur le budget de l'Etat. Plusieurs guerres eurent lieu sous le règne de Domitien, toutes de nature défensive, à l'exception de l'expédition contre les Chattes, qui constituait davantage une vaste opération de police visant à repousser les maraudeurs ennemis loin de la frontière. Certaines guerres furent menées par nécessité, comme celle contre les Sarmates, qui avaient anéanti une légion et l'un de ses lieutenants. Il en fut de même pour les deux campagnes contre les Daces : la première faisait suite à la défaite d'Oppius Sabinus, un consul, et la seconde après la défaite de Cornelius Fuscus, préfet des cohortes prétoriennes, à qui Domitien avait confié le commandement suprême. Il réussit remarquablement, sans quitter Rome, à réprimer une tentative de guerre civile orchestrée par L. Antonius, commandant de la Haute-Germanie. Lors de l'affrontement, un dégel soudain du Rhin empêcha les troupes barbares de se rallier à celles d'Antonius. Selon Pline le Jeune et Tacite, ces guerres ressemblaient à celles menées par Caligula : les prétendues victoires de Domitien étaient en réalité des défaites, ses captifs des esclaves qu'il avait achetés, et ses triomphes de pures fabrications. En 84, il prit le commandement de l'armée du Rhin, avança sur le territoire des Chattes qui se retirèrent plus profondément dans leurs forêts. Au retour de cette expédition, qui ne comportait ni batailles ni conquêtes, il s'octroya le titre de Germanique, bien qu'il ne le méritât pas. La nomination de Trajan au commandement de la Haute Germanie témoigne de la volonté de Domitien d'assurer une surveillance rigoureuse de cette région. Le nouveau général, malgré son penchant pour la guerre, se consacra à établir une solide défense. Il fortifia le Sud-Ouest de l'Allemagne avec une ligne de postes fortifiés, de levées de terre et de retranchements, encore visibles aujourd'hui sous des appellations telles que le Mur du Diable ou les Fossés des Païens. Ces fortifications s'étendent depuis le Rhin, bien en aval de Mayence, jusqu'au Danube près de Ratisbonne. Pour protéger un territoire qui aurait pu donner aux Germains un accès direct à la Gaule et à l'Helvétie, les travaux de défense initiés sur le Rhin inférieur furent étendus en direction du Danube. Domitien porta une attention particulière à ce projet, puisque, selon Frontin, il fit construire une ligne de défense s'étendant sur 120 milles. Grâce à ces fortifications, qui repoussaient les Germains vers le centre de leur territoire, la population augmenta dans les terres décumates. Cela ressemblait à la formation d'une nouvelle province, gagnée sur les territoires germaniques solidement contenue. Les affrontements militaires les plus significatifs du règne de Domitien se déroulent le long de la frontière du Danube. En 85, les Daces traversent le fleuve, tuent le gouverneur romain et sont ensuite repoussés. L'année suivante, un commandant romain dynamique meurt avec son armée lors d'une expédition punitive en Dacie. Il faudra deux années aux Romains pour finalement l'emporter lors d'une victoire décisive à Tapae en 88. En 89, confronté à la nécessité de combattre les Quades et les Marcomans sur le Haut-Danube, Domitien conclut un accord avec le roi dace Décébale. Trois ans après, ce sont les Sarmates Iazyges qui représentent la principale menace sur cette frontière. Domitien semble avoir lancé une campagne contre eux l'année précédant sa mort. A l'intérieur de la Germanie, Domitien établissait des alliances stratégiques sans engager ses armées. Il fournissait de l'argent à un chef des Chérusques, mais refusait de lui apporter un soutien militaire; il persuadait le roi des Semnons de se rendre à Rome, accompagné de la vierge Ganna, qui avait succédé à Velléda en tant que prophétesse des Germains. Ces deux figures repartaient chargées de présents, emportant avec elles une impression marquante de la puissance romaine. Les Marcomans et les Quades, que Tibère avait installés sur la rive gauche du Danube entre la March et le Waag ou le Gran, ainsi que les Sarmates Iazyges (entre le Témès et le Danube), avaient refusé de soutenir l'empire durant la guerre Dacique. Menacés d'une offensive par l'armée de Pannonie, ils envoyèrent des députés à l'empereur, qui furent exécutés. Les détails de cette confrontation restent flous, mais elle fut suffisamment grave pour qu'une légion y périsse et que Dion dépeigne Domitien en fuite devant ces peuples. En Afrique, les Nasamons, qui s'étaient déjà rebellés sous le règne de Vespasien, se soulevèrent à nouveau : ils furent presque entièrement exterminés, libérant ainsi la Cyrénaïque et la Tripolitaine des pillages incessants de ces nomades. L'empire maintenait donc sa solide posture militaire : les provinces demeuraient stables, les frontières bien défendues, et malgré quelques succès éphémères, les Barbares ressentaient la pression de sa puissante main. Cependant, une ombre assombrit ce tableau, celle de Rome, et plus particulièrement du palais. Alors que nous y avions jusqu'ici rencontré un administrateur avisé, nous nous trouvons désormais face à un tyran. AgricolaLa vie romaine, le commerce et l'usure se sont rapidement implantés en Bretagne. Vespasien, qui avait brillé lors des premières campagnes de conquête, souhaitait compléter l'oeuvre de Claude. Il envoya successivement trois généraux compétents en Bretagne : Cerialis et Frontinus d'abord, qui soumirent les Brigantes au Nord et les Silures au Sud-Ouest, deux peuples redoutables; puis, en 78, Agricola, qui conquit les Ordovices au centre du pays de Galles et l'île de Mona. La Bretagne fut alors pacifiée jusqu'aux Highlands d'Ecosse. Agricola s'avança vers ces montagnes, mais s'arrêta à l'isthme de 30 milles entre les deux mers, du golfe de Clyde à celui de Forth, et y construisit une série de forts pour protéger la province contre les incursions. Les montagnards attaquèrent bravement; Agricola les repoussa au pied des monts Grampians, malgré le courage de leur chef Galgac, dont Tacite attribue un discours jamais entendu par une oreille romaine. Après cette victoire, les légions se replièrent derrière leur ligne de défense, mais la flotte explora le Nord de l'île, les Orcades et peut-être les Shetlands. Tacite suggère que Domitien était inquiet de la renommée d'Agricola. Agricola conclut son mandat, qui dura sept ans, par des succès et des travaux significatifs. Domitien le félicita au Sénat et lui attribua les décorations triomphales, une statue couronnée de laurier et d'autres honneurs équivalents à un triomphe. Cependant, Tacite note qu'Agricola rentra discrètement à Rome, accueilli froidement par Domitien qui lui offrit le gouvernement de Syrie, une proposition qu'Agricola eut la prudence de refuser, soupçonnant qu'on souhaitait qu'il décline l'offre. La cour et les courtisansPeu après son accession, Domitien entreprend donc la construction d'un nouveau complexe palatial, la Domus Augustana, au Sud de l'ancienne Domus Tiberiana. Quand il n'est pas dans Rome même, il séjourne souvent dans sa maison de campagne, la villa Albana, à 13 kilomètres environ de la capitale, sur la via Appia. Le palais impérial est le centre de la vie publique et privée de Domitien. C'est le lieu où ont lieu les réceptions et les banquets officiels. L'empereur et l'impératrice Domitia y disposent de magnifiques appartements. En parallèle de son mariage officiel, Domitien est réputé pour ses excès de luxure. Il n'est pas grand amateur de littérature, mais, pour agrémenter la cour impériale et promouvoir son image, il entretient Martial et Stace, poètes de cour. Il organise aussi les divertissements publics, introduit des nouveautés dans les jeux, telles que des combats de femmes ou de nains. Ces dépenses sont extrêmement élevées. Les prélèvements effectués sur le trésor impérial sont en partie à l'origine des confiscations et des hausses d'impôts mises en oeuvre par Domitien. Vespasien avait certainement laissé à ses fils un trésor bien rempli; Titus commença à l'entamer par ses largesses; Domitien le vida complètement avec les coûts exorbitants de ses constructions et de ses spectacles, et notamment à cause de l'augmentation de la solde, qui a dû augmenter les dépenses annuelles de cinquante millions. Initialement, il adopta une grande rigueur dans la perception des impôts. Une gestion financière déficiente menait rapidement, avec des dirigeants sans scrupules, à une politique désastreuse. Domitien reprit alors la chasse aux héritages : il suffisait qu'une personne témoigne avoir entendu le défunt nommer César comme héritier pour que l'héritage soit saisi. La loi de majesté fut à nouveau utilisée comme un moyen de pression : un mot, un geste imprudent pouvaient entraîner la confiscation des biens. La tyrannieLes premières modifications surviennent en 85, quand des problèmes financiers poussent Domitien à recourir aux confiscations pour renflouer les caisses de l'Etat. Au-delà de ses besoins financiers, c'est sa méfiance et son sentiment d'insécurité qui l'incitent à adopter des comportements cruels et à ordonner des exécutions. Il suffisait de rapporter la moindre action ou parole perçue comme une offense à la majesté du prince. Un matin, il rencontra un devin envoyé depuis la Germanie pour le consulter à propos d'un coup de tonnerre. Après que le devin lui eut prédit une révolution, il fut condamné à mort. Une mention rapide de prières d'action de grâces, suite à la découverte d'un complot contre l'empereur le 22 septembre 87, marque le premier signe de troubles. Les sénateurs impliqués dans ce complot sont exécutés. Les héritages les plus éloignés de l'empereur étaient confisqués, à condition que quelqu'un témoigne avoir entendu le défunt dire de son vivant que César était son héritier. Il remplaçait fréquemment les préfets du prétoire pour éviter qu'ils ne gagnent la confiance des soldats et divisait les responsabilités du préfet de la ville entre douze magistrats, refusant de concentrer ce pouvoir entre les mains d'une seule personne. De plus en plus isolé, il menait une vie morose et désoeuvrée, trouvant pour seule distraction la lecture des Mémoires de Tibère. Contrairement à Tibère qui avait des amis, le fils de Vespasien et de Domitilla resta seul. Son Capri à lui était à Rome, au coeur du palais impérial. Effrayé par des prédictions astrologiques sinistres, il fit tirer les horoscopes des personnalités importantes et élimina tous ceux qu'il suspectait d'être des rivaux potentiels. Parmi les victimes, un consulaire promis à un grand avenir par les Chaldéens et son cousin Sabinus, accidentellement proclamé empereur au lieu de consul, une erreur interprétée par beaucoup comme un signe infaillible de destinée impériale. Les délateurs, un temps bannis, firent leur retour en force. La délation, déjà un métier lucratif, atteignit un niveau de cynisme et de cruauté sans précédent. En janvier 89, une mutinerie éclata sous la direction de Lucius Antonius Saturninus, gouverneur de Germanie supérieure, vraisemblablement due au mécontentement engendré par la politique conciliante de Domitien envers les Germains et à l'importance croissante des légions du Danube. Rapidement réprimée par Lappius Maximus, gouverneur de Germanie inférieure, cette révolte conduisit à la disgrâce et à l'exécution des complices réels ou supposés de Saturninus, visant ceux que les astres désignaient, ceux dont la fortune, la naissance ou l'indépendance des opinions les rendaient suspects. Les stoïciens furent particulièrement ciblés pour persécution : Herennius Sénécion pour avoir écrit sur Helvidius, Junius Rusticus pour avoir loué Paetus Thrasea et Helvidius Priscus, les qualifiant de "hommes les plus vertueux", ce qui déclencha un édit expulsant tous les philosophes de Rome et d'Italie. Le fils d'Helvidius n'oubliait pas les mésaventures matrimoniales de Domitien; Maternus critiquait ouvertement les tyrans; Salvius célébrait l'anniversaire de son oncle, l'empereur Othon : tous périrent. Une femme qui s'était dénudée devant une statue de l'empereur fut exécutée. Mettius Pompusianus fut condamné pour plusieurs raisons : son horoscope prédit qu'il serait empereur; il transportait une carte du monde et des discours de rois et généraux tirés de Tite-Live; il avait nommé ses esclaves Magon et Hannibal. Sallustius Lucullus, légat en Bretagne, avait permis à ses soldats de nommer une nouvelle sorte de lance d'après lui : il subit le même destin. Un autre complot, celui de Juventius Celsus, entraîna d'autres exécutions, et la persécution, se propageant de plus en plus, atteignit même des membres du peuple. Ainsi, le cercle sanglant et obscur des victimes de Domitien s'élargissait, alors qu'il frappait impitoyablement. L'instrument de toutes ces exécutions, systématiquement suivies de la confiscation des biens, était le sénat, que Domitien maintenait sous la pression constante de ses soldats. Il fit exécuter de nombreux sénateurs, accusés de conspiration, y compris plusieurs anciens consuls tels que Civica Cerealis, alors proconsul d'Asie, Salvidienus Orfitus et Acilius Glabrio, tous deux en exil. D'autres furent mis à mort pour des motifs particulièrement futiles. Peut-être était-ce Domitien lui-même le plus malheureux, et cela semblait juste : il vivait dans la peur. Tous les bruits le terrifiaient, chaque personne lui paraissait être un assassin, chaque événement un mauvais présage. Il ne se promenait plus que sous un portique aux parois recouvertes de pierres polies réfléchissant les alentours, lui permettant ainsi de voir ce qui se passait derrière lui tout en marchant. Il interrogeait lui-même les prisonniers en tête-à-tête, tout en tenant le bout de leurs chaînes. Autrefois avide de jeux et de spectacles, il ne trouvait d'échappatoire à ses peurs que dans de sombres divertissements et des plaisanteries macabres. Un jour, il invita les éminents membres du sénat et de l'ordre équestre. Ils pénétrèrent dans une salle drapée de noir; à la lueur de lampes funéraires, ils aperçurent des lits semblables à ceux des morts, surmontés de stèles comme celles des tombes, portant chacun leur nom. Des jeunes hommes nus, évoquant des spectres, s'approchèrent, exécutant une danse mystérieuse avant de s'asseoir à leurs pieds dans la posture des génies du mort représentés sur les tombes. On leur servit alors des mets typiques des repas funéraires, dans un silence seulement interrompu par Domitien qui racontait des histoires de meurtres et de massacres. Les convives croyaient vivre leurs derniers moments. Cependant, le sinistre banquet prit fin; on leur ouvrit les portes, les faisant accompagner chez eux par des esclaves inconnus. A peine rentrés chez eux, l'annonce de l'arrivée d'un envoyé impérial les effraya, croyant que le licteur venait apporter leur sentence de mort. Il s'agissait en réalité de la stèle que l'empereur leur envoyait, faite d'argent; des objets utilisés lors du repas, tous d'une grande valeur; et le génie funèbre, qui n'était autre qu'un jeune et bel esclave. Malgré ces années sombres, le tyran se consacrait également à des projets bénéfiques. En Espagne, il acheva une route entamée par son père; en Italie, il restaura la voie Latine et en construisit une nouvelle entre Sinuessa et Pouzzoles, malgré d'importantes difficultés. Il assura aux provinces que les prévaricateurs seraient jugés, et la nomination de Pline à la préture à cette époque indique qu'il restait de la place pour les personnes intègres au sein de ce gouvernement. La mort de DomitienUn jour, ayant fait comparaître devant la curie quelques accusés de lèse-majesté, il déclara vouloir tester l'attachement que le sénat lui portait. Il obtint facilement leur condamnation à la peine habituelle. Domitien est assassiné le 18 septembre 96, dans le cadre d'une conspiration de palais. Suétone décrit en détail le complot et l'assassinat, indiquant que le principal instigateur est le ministre Parthenius, principalement motivé par le désir de venger l'exécution d'Epaphroditus, le secrétaire particulier de Domitien. Les exécuteurs de l'assassinat sont, d'une part, Maximus, un affranchi de Parthenius, et d'autre part, Stephanus, un serviteur de Flavia Domitilla, la nièce de l'empereur. Stephanus, récemment proscrit par Domitien, prit sur lui de l'assassiner. Pour éloigner les soupçons, il simula une blessure au bras gauche, qu'il garda plusieurs jours enveloppé de laine et de bandages. Au moment opportun, il dissimula un poignard dans le bandage et sollicita une audience auprès de l'empereur sous prétexte de révéler une conspiration. Alors que Domitien lisait le document qu'il venait de lui remettre, Stephanus le frappa au bas-ventre. Légèrement blessé, le prince tenta de se défendre, mais des membres de sa propre maison, y compris des gladiateurs, se ruèrent sur lui et l'achevèrent de sept coups de poignard. Le jeune esclave en charge de l'autel des dieux Lares dans la chambre impériale était présent lors du meurtre et décrivit la scène : après avoir reçu la première blessure, Domitien lui avait crié de saisir un poignard caché sous son oreiller et d'appeler ses gardes, mais il ne trouva que le manche du poignard, et toutes les portes étaient verrouillées. Cependant, Trajan était parvenu à terrasser Stephanus et, malgré des doigts sectionnés, tentait de lui arracher son arme ou de lui crever les yeux; il continua de lutter jusqu'à ce que les autres assassins arrivent pour l'achever. Domitien avait 45 ans et était dans la quinzième année de son règne. Son corps fut emporté dans un cercueil de piètre qualité par des mercenaires qui collectent les corps des morts la nuit. Toutefois, sa nourrice Phyllis s'occupa de lui rendre les derniers hommages dans sa villa de la voie Latine et transporta secrètement ses restes dans le temple de la famille Flavia (18 septembre 96). Ses statues et trophées furent renversés, son nom fut martelé sur les monuments publics, et le sénat décida de ne pas l'élever au rang des dieux Flaviens dans le ciel. |
